Plus que jamais, au festival de Torhout/Werchter, le rock était de boue
L'Apocalypse des animaux
Ah gadoue, dou
dou, passe-moi le
rockeur et mouds
le café pour cette
seizième édition
surréaliste et sans
génie.

L'affiche la moins exci-
tante de l'histoire du
double festival fla-
mand a répondu aux
espérances inexis-
tantes en permettant aux deux
fois soixante mille fans brou-
teurs de se défouler dans l'allé-
gresse, sous la pluie comme il
se doit depuis 1988, et, acces-
soirement, de goûter dans la
mare à hippopotames à neuf
groupes ou artistes bien sages
qui se sont contentés d'abattre
honnêtement leur boulot, com-
me si de rien n'était.

C'était comme si, sur scène,
tout le monde s'était mis d'ac-
cord pour ne pas être pire ou
meilleur que celui qu'on précè-
dait ou à qui l'on succédait.
C'est bien la première fois qu'au-
cun coup de coeur ou de folie
est venue perturber le doux ron-
ron d'une manifestation rodée,
un classique du genre dont il ne
faudrait plus rien arrendre de
surprenant. Aucun groupe n'a
réellement cherché à étonner, à
dérouter, à se surpasser. Tout
s'est passé tranquillement dans
le cadre bien délimité d'une sur-
face que plus personne n'ose
utiliser à bon escient, si ce n'est
Urban Dance Squad. Oµ est cet-
te magie, cette communion
avec le public que les U2,
Minds, Iggy ou Gabriel étaient
capables d'offrir en se servant
d'un lieu unique qui n'a rien à
voir avec la salle.

Un concert à T/W ne devrait pas
être de la routine et cela le
devient de plus en plus pour des
groupes accomplissant leur
show habituel simplement réduit
de quelques chansons.

La seule surprise est finalement
venue des Smashing Pumpkins,
pour la simple raison que nous
ne les avions jamais vus. Un peu
comme les Danois à l'Euro, invi-
tés de dernière minute pour fina-
lement triompher, le combo fou
de Chicago, remplaçant au pied
levé Pearl Jam aphone, a réussi,
avec une économie de moyens
confondante, à livrer un set ten-
du comme une corde guitare,
ployant sous un beat impitoya-
ble sans jamais rompre. Avec
une dégaine pas possible, inspi-
rée des Pixies, si ce n'est les
cheveux blancs de la bassiste
D'Arcy et la boucle non pas
d'oreille mais de sourcil droit du
guitariste James Iha, les Citrouil-
les qui vous éclatent en pleine
figure font mieux encore que
Nirvana car ils ont le sens de la
sobriété efficace.

SHAMPOING ET CATCH

Les Pumpkins succédaient à
nos Scabs qui méritaient mieux
qu'un public poli mais guère en-
thousiaste jusqu'au final par
" Rockin' In The Free World " du
père Neil Young qui nous a bien
manqué : dur dur pour nos va-
leureux rockeurs de jouer à
10 h 15, sous une averse qui a
déjà transformé le pré à vaches
en ring de catch dans la boue.

La pluie, on connaît à Torhout
mais c'est bien la première fois
que le terrain subit un tel déluge
ne lui laissant pas le temps d'ab-
sorber un élément aquatique qui
fera sa loi. Le festival se trans-
forme dès lors en bains de
boue, très bons pour la santé, il
y a des vieilles rombières qui, à
Vichy, payent une fortune pour
cela. Ca finit en match de foot,
en shampoing féminin plus ou
moins forcé, en de belle joutes
de lutte dont le plaisir réside
essentiellement à se couvrir
tout le corps d'une bonne cou-
che brune, excellent pour la
peau rappelons-le.

Il fait bon, la pluie est chaude, la
bière coule à flots, l'ambiance
est sympa, la sono va fort : ah
le pied, les mecs ! Quelle am-
biance, ce festival de Trauwt-
Werrrterre. Génial. Et le plus
chouette, c'est encore de se
hisser sur la tête des gens, les
quatre fers en l'air, de les cou-
vrir de boue et de se faire har-
ponner par un service d'ordre
gentil, serviable et patient com-
me tout qui vous conduit à la
sortie. Le jeu consistant à faire
le tour et revenir le plus vite
possible. On compte le nombre
de récupération dans le " front-
stage " et le meilleur c'est celui
qui gagne. Géant les enfants.
Evidemment, faire ça durant le
set solo guitare du barde
Luka Bloom, c'est moins fen-
dant. Déjà qu'à plus de cinquan-
te mètres, on n'entendait pas sa
voix mal sonorisée. C'est pas
comme Urban Dance Squad, ça
c'est des vrais. D'abord, c'est
eux qui prennent la dernière
averse sur la gueule. Mais bien,
ça tombait. Même que ça les
amusait, Rudeboy et sa bande
d'être bien trempés. Le gars, il
s'est même offert un plongeon
dans la mare bouillonnante en
bonne et due forme. Et dis
donc, il était tout brun comme
nous. Ouah, le type, il est des
nôôôôtres. Cool dis donc, c'est
too much...

Ils ont fait tellement fort les
hard-core-rap-funckers hollan-
dais, que la pluie, elle s'est cas-
sée. Pas grave, la gadoue est
restée jusqu'à la fin et que ça
glissait et qu'on s'y enfonçait
dedans. Et que c'est excitant
quand elle vous passe à travers
les orteils...

Repos donc pendant Luka
Bloom qui a terminé sur sa très
belle version de " I Need Love "
de LL Cool J, la première belle
chanson de la journée. Ah oui,
on oubliait les invertébrés d'Ex-
treme qui ont confirmé ce que
pensait d'eux Smashing Pump-
kins, à savoir que c'est bien le
plus mauvais groupe du monde.
D'accord, les hard-rockeurs de
Beverly Hills ont débarqué avec
leur beau podium à escaliers
mais pour le reste, on a droit à
un rock de bonne compagnie
ricaine, les dents pourries de
ketchup-coca et le cerveau ra-
moli au power-training. Même
que les fans des Chili Peppers
n'ont pas hésité à bombarder de
mottes de boues le trop propre
Gary Cherone durant le sirop
" More Than Words ". Bien fait,
dommage que Grande-gueule
est souple et réussi à esquiver
le coup.

Crowded House, enfin, est venu
réveiller ce petit monde atten-
dant poliment le départ de l'ex-
cellent Luka. Les kangourous
ont livré là leur meilleur set,
malgré un matos loué en derniè-
re minute à Bruxelles, le leur
étant bloqué dans un semi-re-
morque quelque part sur une
route de France. On a même eu
droit à une pyramide à six. Sa-
crés kangourous, va.

LE PUBLIC EST TELLEMENT
PLUS BEAU...

Moins jovial fut l'austère Lou
Reed qui nous a une fois de plus
offert un récital très académi-
que. Il a même voulu faire plaisir
aux quelques ploucs de plus de
20 ans perdus là par erreur en
commençant par " Sweet Ja-
ne ", avant de reprendre sèche-
ment " Walk On The Wild Side ",
" Rock'n'Roll ", " Vicious " et en-
fin " Satellite Of Love ". Devant
un public amorphe. S'en ta-
paient complètement de cet an-
cêtre binocleux dont chaque
sourire semblait lui faire horri-
blement mal aux fesses. Faut
connaître le Lou, ce qui n'était
visiblement pas le cas des hor-
des flamando-bataves, majori-
taires, venues là pour les Red
Hot Chili Peppers. Les tubulai-
res de protection ont commen-
cé à ceder sous la pression, les
corps à voltiger à nouveau, les
demoiselles de s'évanouir, par
syncope ou étouffement. La rou-
tine, quoi. Même les photogra-
phes ont été priés de déguerpir.
Mais ceux-là ont l'habitude
d'être pris pour du bétail juste
bon à faire clic clac sur les trois
premiers morceaux, ou le cin-
quième et sixième, c'est selon,
ça dépend des caprices du ma-
nager. Faut dès lors pas s'éton-
ner de ne pas retrouver dans
votre journal préféré la tronche
à ces " artistes ", faut pas pren-
dre les gens pour des imbéci-
les ! Et puis le public est telle-
ment plus beau...

Les Red Hot ont sobrement
abattu leurs cartes. Sans folie,
sans dérapage. bien les gars,
du bon petit travail. c'est par ici
la sortie, le chèque est là, au
plaisir de vous revoir. Vos fans
hideux ayant couvert la scène
de boue, râlant de ne pas en
avoir eu assez, merci de net-
toyer avant de partir et de lais-
ser l'endroit dans l'état dans
lequel vous l'avez trouvé. Tout
est propre pour Bryan Adams
plus carré que jamais. C'est
bien la cinquoème fois qu'on le
voit et c'est toujours la même
chose, au moins on ne risque
pas d'être déçu.

Ah la la, quelle belle journée ce
fut là. Mais vous imaginez ça
sans la boue ? C'aurait été d'un
ennui, mon dien...

THIERRY COLJON


Portrait de groupe (pas de rock) avec boue. Le pied...

Et portrait de groupe de rock avec pluie. La raclette...


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